La Critique

Logorama, trouver ses marques

Film : Logorama H5 : Ludovic Houplain, Hervé de Crecy, François Alaux France / 2009 /Animation / 16’   Une attaque à main armée dans la jungle des marques. Des animaux sauvages échappés du zoo qui se mettent de la partie. Et voilà le film d’animation Logorama qui vire au film- catastrophe, prédisant la fin du monde, sous forme de raz-de-marée de pétrole, qui engloutit tout sur son passage.   A deux exceptions près : Big Boy, chaîne de fast-food et une station-service Esso, caricaturée sous les traits d’une serveuse plantureuse. En somme, les deux choses incontournables pour ne pas dire essentielles à la vie, à en croire la fable férocement drôle et grinçante de Ludovic Houplain, Hervé de Crecy et François Alaux, les réalisateurs.   Dans Logorama, le spectateur est happé par une foule de logos familiers, ancrés fermement dans son inconscient par des années de pages pub. Même les animaux du zoo sont factices, ils n’ont plus rien de naturel comme le lion de la Metro Goldwyn Mayer ou le crocodile Lacoste. L’image la plus saisissante reste cette vue de la ville assimilée à un champ de marques, pour dire clairement qu’elles ont envahi le monde et qu’il est impossible de toutes les voir. C’est, au final, une réflexion sur notre propre existence passée à naviguer entre toutes les marques, qu’initient les réalisateurs. En nous rappelant la place de la consommation à outrance dans notre existence.   Pour accentuer cette impression, les réalisateurs usent des ressorts classiques du film policier course-poursuite effrénée dans les rues de la ville, arrivée de l’hélicoptère en renfort, tireurs d’élite postés sur le toit. Et pour bien enfoncer le clou, on retrouve dans le rôle du méchant la mascotte de McDonald’s, un clown qui n’est pas sans rappeler le joker de Batman, un clown carrément odieux, quand il prend en otage un enfant. McDo, symbole pas très subtil de la mal-bouffe américaine qui a envahi le monde. Un monde rythmé par le cours du baril. Et s’il suffisait de craquer une allumette pour en finir ?   Aline Groëme-Harmon   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010  

La réalité mise à nu

Film : Drogba est mort  Moussa Diara, Eric Rivot Mali / 2009 / Fiction / 9’   Le corps du petit mendiant gît sans vie sur l’asphalte. Mais comment se fait-il qu’il soit mort, lui le héros du film, lui, le « roi du stade » ? Dans l’œuvre de Moussa Diarra et d’Eric Rivot il n’y a pas de place pour la rêverie. Celui qui ose rêver est un homme mort. Il convient donc de garder les yeux grands ouverts pour faire face à la réalité.   La réalité de Drogba est mort c’est la pauvreté incarnée par les petits mendiants âgés d’à peine 10 ans qui errent dans les rues du Sénégal, c’est le dépotoir qui se transforme en terrain de jeu, c’est l’adulte affublé du titre de « marabout » mais qui n’est en fait que le maître des enfants qu’ils transforment en esclaves. La réalité du film, c’est aussi par extension, ces milliers de jeunes sénégalais qui chaque année tentent de fuir leur misère en s’embarquant sur des bateaux clandestins à destination d’un pays où ils espèrent, à l’image de cet autre africain, Didier Drogba, connaître la gloire. Mais pour bon nombre ce n’est pas la réussite qui les attend mais la mort durant la traversée.   Tout comme dans la vie des Sénégalais, la sauce tomate est omniprésente dans le film. Elle est tantôt vue sous forme de boîte de conserve vide accrochée aux épaules des jeunes mendiants, tantôt dans le plat commun où chacun puise avec avidité sa part de nourriture. La petite note à la fin du film rapportant le nombre de tonnes de boîtes de concentré de tomates à avoir traversé la Méditerranée ainsi que l’arrêt sur image de la boîte de conserve vide de la marque « Salsa » (une marque italienne) est un cri du cœur contre cette tendance du Sénégalais à toujours trouver la terre étrangère bien meilleure que son propre pays.   L’import qui prend de l’ampleur et l’exil en masse signe du même coup la mort de l’industrie locale. La menace qui semble guetter les Sénégalais osant rêver d’ailleurs est symbolisée à l’écran par le vieil homme en noir. Borgne, il voit la vie d’un seul œil. Il ne dira pas une parole, sa seule présence est terrifiante. Il attend tout simplement son heure pour frapper.   Christine Turenne   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010
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Andong, ce petit philippin qui vous fait du bien

Film : Andong Rommel Milo Tolentino Philippines / 2008 / Fiction / 20’   Il aime la télé. Lui, Andong, philippin issu des quartiers pauvres. C’est aussi le titre de ce court-métrage venant de ce pays, réalisé par Rommel Milo Tolentino et récompensé par le Prix  de la presse Clermont-Ferrand 2009 et le Prix du Public International Clermont-Ferrand 2009.   Il y a donc cet enfant vivant dans un bidonville, sa mère qui travaille comme ramasseuse d’ordures, le laissant seul avec son petit frère. Et dans sa tête, cette obsession de toujours vouloir regarder la télé, n’importe où. Un beau jour, il apprend qu’une loterie permettra à son gagnant de décrocher une télé…   Avec l’espace confiné et parfois même étouffant des bidonvilles, filmé avec le naturel le plus simple, Tolentino aurait pu nous offrir un film qui tombe dans le misérabilisme. Mais le metteur en scène a eu la bonne idée de prendre l’angle du petit et son frère qui le suit partout (ce dernier convoite lui une petite chaîne). On suit toute l’histoire à travers les yeux innocents d’Andong, plongés dans son univers où il ne voit que sa télé, où tout fonctionne comme dans un tube cathodique.   Un angle qui donne alors place à des moments à la fois drôles, tel cette scène où le petit, insistant, supplie sa mère pour lui donner l’argent pour acheter son billet, ou touchants, comme à ce moment de l’histoire où le duo, tout débrouillard, doit ramasser des ordures pour avoir l’agent tant désiré.   Entièrement acquis à la cause de son petit héros, le metteur en scène nous communique cette envie qu’Andong réussisse son projet d’avoir une télé, comme une sorte d’échappatoire à la misère qui l’entoure. Il filme à hauteur d’enfant, avec des accents universels. Qu’ils soient dans un bidonville ou pas, ils sont tous insistants nos petits quand ils veulent quelque chose, exactement comme Andong, interprète au naturel désarmant.   Et puis, il y a ce dénouement, touchant lui aussi, qui donne la part belle à la notion de sacrifice à hauteur de petit garçon. Mais ne vous inquiétez pas, Andong, ce philippin très attachant, a plus d’un tour de son sac pour avoir sa fameuse télé.   Stéphane Chinnapen    Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

L’île aux fleurs, un si joli nom pour un dépotoir

Films : L’ïle aux fleurs Jorge Furtado Brésil / 1989 / Documentaire / 15’ Le paradoxe chez Furtado, c’est qu’il ne faut pas chercher les fleurs. Si le titre de son court métrage évoque une île qui pourrait être paradisiaque, le réalisateur nous déroute vers une île cruelle, où la nécessité force adultes et enfants à fouiller un dépotoir pour survivre. Ce parcours chez Furtado va crescendo. Il commence sur le ton de la démonstration scientifique et en même temps ironique, en nous présentant un dénommé Suzuki, un Japonais, un humain, cultivateur de tomates. A priori, c’est l’être le plus inoffensif et le plus banal qui soit. Deuxième personnage : une mère de famille qui achète des tomates. Et la démonstration repart, avec l’énumération des points communs aux mammifères par exemple, de tout ce qui dans l’absolu sépare et réunit l’homme de la bête. Par étapes successives, nous entrons dans une logique infernale, un raisonnement qui tente d’expliquer les réalités des plus pauvres au Brésil. Sauf que c’est une réalité qui dépasse le cadre du rationnel. Elle est si cruelle, si déshumanisante qu’aucune logique ne tient plus la route face aux conditions dans lesquelles survivent les familles qui mangent ce que d’autres mieux loties ont jeté à la poubelle. Les images sont difficiles à digérer, surtout quand c’est au tour de jeunes enfants de fouiller le tas d’ordures dont on a enlevé au préalable tout ce qui convient pour des porcs. La démonstration tourne en nausée, mais il s’agit de ne pas détourner le regard, car Furtado ne nous montre rien que la réalité. Ecologique Furtado ? Réaliste surtout. Assez pour nous bousculer dans ce confort qui veut que du moment que notre territoire est propre, on se préoccupe si peu du dépotoir. Aline Groëme-Harmon   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

Tati en trois

Films : Soirée Jacques Tati Festival Île courts 2010 Et il cogne, et il pédale, et il enseigne ! En d’autres termes, trois courts-métrages où l’on retrouve l’imagination comique de Jacques Tati : Soigne ta gauche, L’école des facteurs et Cours du soir. Et trois bonnes raisons de comprendre mieux l’univers de ce cinéaste français. Soigne ton gauche (réalisé par René Clément) se concentre sur la boxe, avec Roger (Tati lui-même), garçon de ferme qui se retrouve un peu malgré sur un ring où s’entraîne un sportif qui prépare un grand combat. Un affrontement qui s’annonce inégal mais qui ne manque pas de surprise. Et surtout, d’humour. Ce n’est pas tous les jours que nous nous retrouvons avec un match de boxe dans une ferme. Tati en profite pour inclure dans son jeu d’acteur du mime, un aspect qui transpire tout au cours de ce film presque sans paroles. Et puis, il y a le facteur… On retrouve la même gestuelle pour le livreur de lettres dans L’école des facteurs, qui suit les aventures d’un de ces employés de la poste, interprété par Tati lui-même (c’est le seul film qu’il a réalisé, ayant uniquement signé le scénario des deux autres). L’histoire sert encore une fois de prétexte à une foule de gags la plupart du temps bien physiques, qui rejoint un peu ce que les Américains appellent le slapstick humor ou encore le cinéma de Charlie Chaplin. Le facteur danse, se prend plein de murs et délivre ses lettres de façon bien particulière. On retrouve toujours le mime (un peu moins soit dit en passant) mais au final, on ressort de la salle de bonne humeur. Cours du soir de Nicolas Ribowski met en place le côté moqueur de Tati, qui interprète dans ce court-métrage en couleur un enseignant friand de leçons bien particulières et bien absurdes. L’art de trébucher ou de se prendre un mur n’aura plus de secrets pour vous, avec équations à l’appui ! Toutefois on ne retrouve pas l’énergie ni l’inventivité de ses anciens films. Un court plus mineur dans la filmographie de Tati, que l’on découvre plus âgé, mais avec toujours l’envie de nous faire rire, ce qui ravira les inconditionnels. Stéphane Chinnapen

Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

Une femme pas comme les autres

Film : Étrangère Christophe Hermans Belgique / 2009 / Documentaire / 13’   Le réalisateur donne le ton : une salle de gym, des bras à la musculature extrêmement développée et la respiration haletante de l’athlète. Christophe Hermans pendant quelques temps joue avec l’ombre et la lumière pour garder le suspense entier. Non finalement, ce n’est pas un homme mais bien une femme qui s’entraîne pour tuer le temps, pour sculpter son corps.   Un corps qui à force d’entraînement a fini par perdre quasiment toute trace de féminité. Sa musculature impressionne et repousse à la fois. Mais Sophie est à l’aise dans ses muscles. Et qu’importe si là où elle va les gens la dévisage. Elle semble n’en n’avoir cure. Sa féminité si elle n’est pas visible dans son corps, elle la vit dans sa tête. Un peu de rimmel par-ci, une touche de fard à joue par-là et le tour est joué.   Sophie est étrangère dans cette ville où elle vient à peine d’aménager. Elle n’a pas d’amis et est toujours seule. Cette solitude est accentuée par les plans d’images en noir et blanc et  par l’absence de paroles dans le film. Assise dans la solitude de sa chambre, Sophie entreprend un voyage dans ses pensées. Un voyage immobile en somme. Tout comme chacun de nous, Sophie est à la recherche de sa place dans ce monde.   Mais voilà, ce monde semble ne pas vouloir d’elle. Alors elle se contente de partager sa vie entre des petits boulots et son entraînement de forcenéE. Le seul être qui semble se préoccuper de son bien-être est sa mère. Mais Sophie s’est détachée de ce monde maternel depuis longtemps déjà.  
Christine Turenne   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

Une déesse du ghazal derrière un sourire désenchanté

Film : Shanti Sarah Hoarau Maurice, La Réunion / 2010 / Fiction / 10’ Shanti, présenté lors de la soirée d’ouverture du festival Ile Courts, a été réalisé par la Réunionnaise Sarah Hoarau, qui a tourné cette fois à Maurice. Au-delà de l’usage d’une caméra photo qui donne une qualité visuelle particulièrement flatteuse notamment dans le traitement de la couleur et des textures pour les gros plans, ce film de dix minutes montre une bonne maîtrise du mélodrame chez cette diplômée de l’Institut de l’Image de l’Océan indien (ILOI).   Les deux volets de ce film s’articulent autour de Shanti, interprétée par Nanni Aubeeluck, qui se révèle troublante dans les deux aspects du personnage qu’elle interprète. Le film s’installe avec l’ouverture matinale du petit salon de coiffure de cette femme d’âge mûr. Une amie arrive bientôt pour se faire coiffer, tandis qu’elle fixe un autre rendez-vous par téléphone. Une enfant vient passer le temps fuyant les disputes de ses parents. Rien de plus jusqu’ici que l’atmosphère vivante et authentique d’un salon de coiffure de quartier qui fait un peu penser à la charmante légèreté du long métrage libanais Caramel. Mais ici l’ambiance est plus calme et la distanciation humoristique, absente.   Le babillage sympathique entre la coiffeuse et son amie cliente, prend peu à peu une tournure aigre scandée par les réactions hostiles de la fille de Shanti qui oppose un non ferme et boudeur à toutes ses invites. La tension atteint son paroxysme lorsqu’elle lui lance une des remarques les plus blessantes qu’une mère puisse entendre, la plaçant devant le désastre d’une vie qu’elle a ratée. Ces remarques acerbes transforment ce qui ressemblait à une chronique sociale relativement légère en un drame existentiel que la caméra lit sur le visage de la mère, où la tristesse tout autant que l’amertume semblent palpables.   Sous des lumières soudainement assombries, une intensité dramatique nouvelle se fait jour et ce retournement complet d’atmosphère, ce passage de la légèreté quotidienne à la gravité, amène une autre façon de filmer et de raconter une histoire. L’amie prend le relais, comme dans quelques vieux films indiens un peu désuets, pour raconter ce qu’était Shanti dans sa jeunesse. Elle fait découvrir le passé de chanteuse de Ghazal adulée par le public, de cette femme au regard si songeur aujourd’hui. Et le spectateur de découvrir une Shanti, coiffée, parée et maquillée telle une déesse indienne, dans l’exercice infiniment troublant de son art, bouleversante de charme et de beauté. Derrière le drame d’une carrière interrompue par on ne sait quel mystère, cette histoire nous invite à aller au-delà de l’apparente banalité du quotidien, révélant qu’un artiste peut se cacher derrière le personnage le plus ordinaire, qu’un roman se trame peut-être dans chaque famille mauricienne…   D. B.   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

Rasta

Film : Rasta… Stéphane Rock Maurice / 2010 / Fiction / 7’   Rasta, de Stéphane Rock, repose sur un scénario très simple : un rasta nommé Jimmy se sent obligé de couper ses dreadlocks pour avoir un job. Mais, ironie du sort, la boîte où il  a décroché le travail recherchait en réalité un homme avec des dreadlocks ! Pour un premier film, Stéphane Rock a pris le soin de proposer des images soignées, qui rappellent, surtout au début, toute une esthétique qu’on retrouve parfois dans les clips ou dans les pubs. Tout le film baigne dans la culture rasta : musique reggae, un personnage, qu’on ne voit pas d’ailleurs, se prénomme Nesta (le deuxième prénom de Bob Marley). Le message en est par ailleurs bien trop évident : pour réussir dans la vie, il faut  assumer son identité, il faut rester soi-même.   Petit  film sympathique, Rasta s’inspire évidemment de la réalité mauricienne, où il faut bien l’avouer, les rastas sont toujours considérés comme des fumeurs de gandia et encore jugés comme des paresseux et des bons à rien. Pour un court métrage de sept minutes le réalisateur fait montre tout de même d’un certain talent. L’influence des frères Coen – la volonté de ne pas filmer frontalement les acteurs, plus un personnage principal un peu looser sur les bords –  saute aux yeux. Si l’acteur qui joue le rôle de Jimmy ne s’en sort pas trop mal, par contre, celle qui joue son épouse donne l’impression de réciter son texte, péché mignon de bien des films amateurs. Souhaitons à Stéphane Rock l’occasion de confirmer cet essai prometteur.   Mahendra Chitamun   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

La Chaumière : un lieu, deux visions, trois réalisateurs

Film : La Chaumière Maurice / 2009 / Documentaire / 6’ La végétation, la montagne, la nature. Et l’homme. Voici La Chaumière, localité mauricienne mise en scène en deux parties. La première, La Chaumière : mo later  de Marie Vidal et Vivek Beergunnot et La Chaumière : l’espace d’un instant par Jérôme Valin. Va-t-on parler, ou même évoquer, le projet d’incinérateur, qui a mis la localité sous le feu des projecteurs depuis quelque temps déjà ? Non. Le deux courts métrages prennent une autre direction, plus visuelle, plus contemplative. La première partie s’attarde sur le quotidien d’un homme, planteur. Son réveil le matin, l’arrosage de ses cultures, (on verra beaucoup d’eau dans ce court, alors que les coupures sont tellement fréquentes à l’île Maurice !) donner à manger aux poissons d’un étang. On nous montre quelques aspects de cette vie proche de la nature, loin de la modernité vers laquelle se dirige l’île Maurice depuis plusieurs années. Avec ses prises de vue souvent très belles, La Chaumière : mo later sonne comme la célébration d’une vie simple.  Au-delà de cet aspect, on sent aussi ce désir de filmer ce coin de terre comme un paradis perdu, qui s’efface avec le temps. On n’y verra qu’un vieil homme, la jeunesse semble ailleurs, loin de cette nature pourtant si paisible, si belle. L’espace d’un instant a quant à lui une approche plus photographique de La Chaumière. Il quitte la hauteur d’homme pour se focaliser essentiellement sur l’environnement naturel. Les humains ne parleront pas au cours de ce court métrage sans musique ni voix-off. Une journée (temps de tournage pour l’équipe)  proche des légumes, des herbes, avec une approche qui s’apparente souvent à de la contemplation, avec des plans se succédant comme un diaporama rempli de détails et de couleurs.  De belles images, justifiant un peu le carton introductif, où le réalisateur évoque cet oncle qui lui a donné le goût de cultiver son potager. Mais du coup, à trop vouloir sublimer l’hommage à son oncle, le réalisateur délaisse quelque peu le rythme de son film. Cet « espace d’un instant » dure plus longuement qu’il ne le laissait présager. Comme un moment prolongé, qui renvoie encore une fois à une nature que l’on veut toujours admirer, comme un Eden fragile et en voie de disparition. Stephane Chinnapen   Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010

Drame silencieux

Film : Glissé Tombé Joëlle Ducray Maurice / 2010 / Fiction / 10’   Joëlle Ducray a choisi une expression bien mauricienne pour en faire le sujet de son film. « Glissé Tombé » n’est autre qu’une formule codée pour parler de l’avortement. Mais puisque cet acte est illégal et puni par la loi dans l’île Maurice, il convient de le traiter avec des pincettes. La réalisatrice, durant les dix minutes du film, ne mettra d’ailleurs jamais le mot fatidique dans la bouche de ses personnages. Toutefois, elle dénonce l’hypocrisie d’un système pourtant bien rodé. Dans l’hôpital où la femme devra se rendre, une salle est dédiée à celles qui sont, par mégarde, « glissé tombé ».   Puisque le sujet est tabou, la jeune femme enceinte qui ne désire pas la venue de l’enfant qu’elle porte s’enferme dans le silence. Même à sa fille, à travers les yeux de qui nous regardons le film, elle ne dira rien. C’est toujours dans le silence et en cachette qu’une de ses collègues lui fourrera en toute hâte dans la main un morceau de papier contenant le numéro de l’homme qui s’occupera de provoquer l’avortement.   Tous les moyens, parfois les plus barbares, sont bons pour mettre fin à la grossesse. Ici un faiseur d’anges à l’aspect rustre, un rayon de bicyclette à la main, se prépare à accomplir sa tâche. C’est bien ainsi que bon nombre de femmes de conditions modestes se sont débarrassées de leurs enfants non désirés. L’acte se pratique-t-il toujours ainsi ? Nous ne pouvons l’affirmer avec exactitude. Mais il est certain que l’absence d’hygiène et de soin qui entoure ce genre d’avortement « fait maison » comporte de grands risques et est souvent mortelle.   C’est ce que nous rappelle l’image du cadavre disposé dans le couloir de l’hôpital. La mort n’est pas loin. Mais tout comme la jeune fille qui voit la porte de la salle se refermer sur sa mère nous restons des spectateurs silencieux de ce drame qui aujourd’hui encore fait de nombreuses victimes.   Christine Turenne     Île Courts 2010 Atelier critique de cinéma animé par Jacques Kermabon 6>10 octobre 2010
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